Sommeil
Une inflexion invisible, un tremblement silencieux, troublent la quiétude du temps et annoncent le basculement imminent : fixées par le dessin dans un sommeil éternel, les beautés endormies vont entrouvrir les yeux. Malgré leur patience de modèles parfaits, Séverine Coquelin n’a pas eu le temps de finir leur portrait, car telle n’était pas son intention.
Avec « Sommeil », nous ne contemplons plus un dessin mais une photo, prise à l’instant qui précède le réveil de si peu que celui-ci a déjà commencé.
Les paupières ne sont plus fermées: les yeux sont mi-clos. Une impatience habite les corps défaits. Du sommeil troublé des trois grâces se dégage la langueur des rêveries nocturnes, quand le corps est tiré du sommeil profond par la force d’un désir charnel confus et fiévreux. Sous nos yeux la matière vacille, hésite. Le dessin vaporeux de « Sommeil » joue avec celle-ci, puis pose la question: existe-elle encore? Séverine Coquelin se concentre sur la limite incertaine entre existence et disparition. Malgré les bancs vides, les rues silencieuses de la série « Au détour », les salons déserts où les meubles ont survécu à leurs possesseurs dans « Ce qu’il reste », rien n’est sûr, pas même la disparition. Du trouble et de l’hésitation naît l’érotisme de l’œuvre de Séverine Coquelin, trace ultime d’une tension qui, une fois décelée, ne saurait être ignorée. En cette hésitation réside la vitalité irréductible: le doute porte avec lui la vie car la mort ne saurait tolérer l’incertitude.
Il nous faut cependant voyager avec l’artiste à la frontière des limbes, parcourir l’espace incertain entre la vie et la mort pour que l’hésitation se mue in extremis en cette force qui nous rattrape et nous propulse, à nouveau, à l’instant d’avant: celui de l’existence qui précède la disparition.
Les corps sont sans cesse menacés de disparition. Nous l’imaginons ajouter :
« mais ils n’ont pas encore disparu ». En ces deux mots, « pas encore », réside la trace tangible de leur existence: ils sont vivants jusqu’à preuve du contraire. Séverine Coquelin organise leur effacement, elle raye, floute, retrace: mais ces corps effacés portent la marque de l’artiste au travail
Romain Genard pour BOUMBANG (webzine/art)
Technique /
graphite
+ transfert + parafine
Dimensions /
70x90 cm
Année /
2012